Une aventure racontée par mon beau-père. 1928-2014. Mémoire des aînés.

 

Le passé est jonché des ruines des régimes tyranniques. Chaque ruine reflète non seulement les erreurs de l’homme, mais aussi sa capacité à les surmonter.

Martin Luther-King

 

 

Il y a plus d’une décennie de cela, à l’issue de nos emplettes hebdomadaires, mon épouse et moi avions l’habitude de passer le samedi midi chez mes beaux-parents.

Une occasion en or pour se rassembler autour d’un apéro. À l’époque, nous travaillions et le moment de détente était particulièrement apprécié.

Pépé, surnommé ainsi par nos enfants, avait une véritable passion pour la généalogie et aimait en discuter avec une ardeur communicative.

Il était persuadé d’être de descendance espagnole à cause de sa chevelure encore noire malgré son âge avancé. Il se trompait lourdement. Pour tout dire, ses racines étaient d'origine viking. (Siegfried notre ancêtre commun)[1]

Fréquemment, je lui présentais notre arbre généalogique. Il s’enthousiasmait pour chaque nouvel ancêtre qu’il découvrait.

Un jour, il me conta une histoire peu banale.

En 1944, dans cette ère troublée caractérisée par la Seconde Guerre mondiale, peu de temps avant le débarquement du 6 juin, Pépé, âgé de seize ans, et son frère de sept ans son aîné se lancèrent dans une quête, celle de découvrir un secret obscur.

Seul un voile de mystère recouvrait la raison de leur virée à travers les lignes ennemies. Peut-être le fait d’avoir un père dans la résistance influença-t-il leurs décisions ?

Quoi qu’il en soit, ils se rapprochèrent furtivement du terrain d’aviation de Lesquin occupé par l’armée allemande.

Le même aérodrome avait reçu le 6 décembre 1939, le Roi Georges VI d’Angleterre accomplissant un voyage à Lesquin afin d’inspecter les escadrons du Royal Air Force. Plus tard, cette base aérienne fut agrandie par les Allemands. Elle fut inaugurée à l’occasion par le Feld-Maréchal Hermann Göring en février 1942. Le 26 juin 1944, Hitler posa le pied sur le sol Lesquinois en visite dans le Nord.

Au moment même où les deux frères rampaient furtivement à travers le terrain d’aviation, une rumeur étrange et fantaisiste s’était répandue à Lesquin. Dans cette soirée silencieuse, la curiosité des jeunes hommes était piquée et ils avancèrent avec détermination, prêts à dévoiler la vérité.

Quelle ne fut pas leur surprise de constater deux ou trois appareils traînant sur le tarmac ! Aucun soldat maniant les batteries antiaériennes ou une quelconque soldatesque effectuant la garde !

Des tas de bombes empilées çà et là : mais en bois ! Tel Perceval, le Gallois, cherchant le Graal, les deux héros avaient découvert le secret, le ouï-dire disait vrai. Peut-être même un ou deux avions inutilisables, donnant à peine l’illusion de l’activité. Pépé, lui, était heureux d’avoir risqué sa vie à 16 ans afin de vérifier cette rumeur et il considérait cette attitude comme une preuve de courage, à juste titre.

La Royal Air Force n’a jamais voulu dire la vérité sur cet épisode de la guerre. Mais suite à la découverte par la résistance et accréditée par de nombreuses photos aériennes des leurres de la Luftwaffe de bombes et des avions en bois. Des chasseurs alliés larguèrent sur l’aérodrome de Lesquin et les alentours des bombes en bois. Sur chacune d’elles, était notée : Wood for Wood (Bois pour bois). L’idée était probablement de ridiculiser l’ennemi.[2]

Quand nous nous rencontrions, il me parlait fréquemment du Château d’Enchemont. Il l’avait vu brûler par les Allemands en septembre 1944, un acte de destruction gratuite lui laissant un souvenir amer de cette période. Le bâtiment avait, auparavant, grandement souffert des raids de Mosquito de la RAF. Comme ce bombardement inutile du Moulin de Lesquin avait marqué le début de ce conflit dans cette petite commune. Je m’évertuais à chaque fois à lui trouver des archives concernant cette résidence profanée par la bêtise humaine.

Un autre jour, il me parla d’une étrange affaire. Le 26 mai 1940, un avion français fut abattu par erreur par la Défense anti-aérienne britannique. Des billets de banque volaient et des sacs entiers sont tombés du ciel. L’avion s’est finalement écrasé dans un champ à Gamand, près de Merchin. Ce n’était pas seulement une tragédie humaine, mais aussi une histoire d’argent. L’appareil contenait 2,5 millions de Francs. 240 000 furent récupérés par les autorités, une quantité notable manquait. Les ragots disaient que les sacs avaient été trouvés par des ouvriers agricoles étrangers les gardant discrètement cachés. La rumeur continua quand ces mêmes personnes achetèrent des maisons après la guerre dans le but de les revendre pour des commerces à Lesquin. Pépé connaissait certainement ceux à qui profitait l’argent tombé du ciel. Lui se sentait en paix avec sa conscience sereine d’un honnête homme. Lui comme moi, nous ne comprenions pas pourquoi une enquête approfondie n’avait pas été diligentée. Mais comme on le sait parfaitement, l’argent corrompt tout.

Un jour, nos deux fils demandèrent à Pépé, s’il avait vécu la guerre. Il leur montra son ventre. Il exhiba les stigmates d’une blessure de plus de vingt centimètres de long en leur déclarant qu’un soldat allemand lui avait porté un coup de baïonnette.

C'était une blagounette de pépé, en vérité, la cicatrice était d'ordre chirurgicale sans aucun rapport avec la guerre.   

Je me remémore qu’une fois dans la voiture, mon fils m’avait raconté l’anecdote. Cette drôle d’histoire est encore ancrée dans ma mémoire.

[1] Lire mon roman : la bande des quatre et l’épée légendaire.

[2] Référence l’excellent livre de Pierre Antoine Courouble : Lille-Lesquin aux éditions Samerlin.

La photo du château est publiée sous la licence  https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/